Publié le 03/11/2017

Chaque année depuis 11 ans, les Tolerantia Awards saluent des groupes, des organisations ou des personnes pour leur investissement et leur engagement exemplaires dans la lutte contre les LGBTphobies (lesbophobie, gayphobie, biphobie, transphobie) et dans la promotion des valeurs d’égalité, de solidarité, de tolérance et de diversité. Ces prix sont décernés conjointement par les associations MANEO pour l’Allemagne, The Rainbow Project pour l’Irlande du Nord, Lambda-Warszawa et Kampania Przeciw Homofobii pour la Pologne, Pink Cross pour la Suisse et SOS homophobie pour la France. Toutes membres de l’European Alliance Against Homophobia (Berlin Alliance), elles désignent chaque année des lauréat·e·s pour chacun des pays représentés.

Le vendredi 20 octobre 2017 à Varsovie, SOS homophobie a remis le Tolerentia Award, Prix européen de lutte contre l’homophobie, à Océanerosemarie et à Stéphane Corbin pour leurs oeuvres qui contribuent à créer une société plus ouverte et plus inclusive. Océanerosemarie comme Stéphane Corbin rendent les personnes LGBT plus visibles brisent les stéréotypes à l’origine des LGBTphobies et montrent ainsi que les personnes LGBT sont avant tout des personnes, comme les autres.

SOS homophobie vous propose la retranscription en français de leurs discours.

Océanerosemarie:

Cher.e.s ami.e.s,

Je suis très honorée et vous remercie pour ce prix Tolerentia décerné par SOS homophobie. J’ai commencé à m’engager en 2009 quand j’ai créé « La Lesbienne Invisible » qui était un One Woman Show sur les clichés que les hétéros peuvent avoir sur les lesbiennes et aussi sur les clichés que les lesbiennes ont parfois sur les lesbiennes, par exemple quand une lesbienne ne croit pas à votre homosexualité juste parce que vous êtes très féminine ! A cette époque, j’avais les cheveux longs, je portais des talons et du rouge à lèvres très rouge. Comme vous pouvez le constater j’ai beaucoup changé et maintenant tout le monde me croit quand je dis que je suis lesbienne !

Ce que j’aimerais dire ce soir, c’est que parfois, nous avons tellement peur d’être « différent » que notre propre inconscient nous fait croire que c’est un choix intime, personnel, d’avoir l’air « normal » -féminine pour une fille ou masculin pour un garçon- alors qu’en réalité ce n’est pas ce qu’on choisit véritablement mais juste la pression hétéronormative et binaire que nous avons incubé comme on incube de vilains microbes. Je pense aujourd’hui que nous devons combattre cette normativité et aider les consciences à intégrer le fait que les deux seuls genres hommes et femmes sont aussi insuffisants qu’irréalistes ; combattons ces assignations restrictives plutôt que de désespérément essayer de nous y conformer et d’en souffrir !

Cette année j’ai co-réalisé avec Cyprien Vial mon premier film « Embrasse-Moi ! », une comédie romantique avec deux héroïnes lesbiennes, et c’etait si important pour moi de faire un film joyeux, limite bisounours et « happy ending » puisque la plupart du temps dans les films, les lesbiennes sont soit des psychopathes serial killer prêtes à découper leur meilleure amie pour la mettre dans le congelo, soit des personnes totalement dépressives qui d’ailleurs meurent généralement avant la fin du film, si possible en se suicidant. Et dans les comédies romantiques existantes, on est confronté 90% du temps au même pitch : une hétéro qui rencontre une lesbienne alors qu’elle est sur le point de se marier, et qui passera les 20 premières minutes du film à se demander si elle va oser embrasser ladite lesbienne, et le 50 minutes suivantes à se demander si elle va oser l’avouer à sa mère. Bien sûr, je caricature, mais c’est vrai que quand on a fait notre coming out depuis 10, 15 ou même 20 ans, ces films sont assez ennuyeux pour nous.

Même si les films sur le coming out sont importants et nécessaires, à mes yeux ils sont aussi problématiques puisqu’ils portent, consciemment ou pas, le message que « les gays ont un problème ».

Alors que soyons honnêtes, nous n’avons pas de problème. Les hétéros ont parfois des problèmes avec nous, mais ce sont vraiment leur problème et je leur suggère de suivre une thérapie pour travailler là-dessus !

Je pense que nous avons besoin de messages et de représentations positives des personnes LGBTQIOC (lesbiennes, gays, bi, trans, queer, intersexe, of color) aujourd’hui en France, et que nous devons mener cette lutte pour obtenir l’égalité des droits, notamment sur la PMA qui fait débat en ce moment, alors que l’égalité ne devrait jamais être « un débat », et que comme dans de nombreux pays, cette question devrait être reglée depuis des années. Néanmoins, je pense que les LG doivent être très vigilants et attentifs à ne pas devenir plus « straights » que les straights, et je vous recommande à ce sujet la lecture de « Homo Inc.Orporated » de Sam Bourcier.

Car aujourd’hui, même si l’homophobie est encore très active et vivace, soyons honnêtes : nous pouvons nous marier, nous pourrons bientôt avoir des enfants en toute légalité dans notre pays (soyons optimistes), dans un grand nombre de milieux professionnels il est possible voire encouragé de faire son coming out et l’homophobie est punie par la loi, ce qui est une très bonne chose. Mais au même moment que les choses évoluent et de façon étrangement paradoxale, plus les LG ont des droits, plus la part des LG conservateurs voire d’extrême droite et racistes, en particulier envers les musulmans, grandit. Et laissent complètement tomber les « TQIOC » du LGBTQIOC.

Je pense que c’est une erreur fondamentale de lutter pour nos droits sans lutter pour les droits de tou.te.s : non seulement les personnes transgenres, non binaires, intersexes, queers, et les LGBTQI non-blancs qui subissent des discriminations spécifiques, mais aussi les droits des réfugié.e.s, des prostitué.e.s, des personnes ayant un handicap, les personnes séropositives et malades du SIDA, les plus précaires, les militants anti-capitalistes ou écolo fichés S, les contrôlés au faciès et j’en passe : bref, toutes les personnes qui subissent des discriminations de la part de l’état et de notre système néolibéral parce qu’ils sont considérés comme « non-rentables », « non-exploitables » et par extension « dangereux ».

Nos communautés sont toujours menacées par le système patriarcal, raciste et capitaliste, fondé en soi sur la domination. Mais nos communautés sont aussi menacées par elles-mêmes, quand elle se mettent à considérer qu’il y a des « droits » plus importants que d’autres, quand elles oublient la solidarité, quand elles oublient que les droits des LG ne sont pas plus urgents à négocier que les droits des personnes trans précarisé.e.s jusqu’à la corde et des réfugié.e.s qui dorment littéralement dehors à une rue de chez nous.

Alors ne devenons pas nos propres ennemi.e.s. Ne nous limitons pas à des objectifs mesquins et égoïstes, et soyons le continuum des premiers mouvements LGBTQIOC dans les années 70 aux Etats Unis, quand les gays marchaient avec les noir.e.s, les femmes, les prolétaires ; en nous révoltant contre toutes les discriminations et en essayant en permanence d’associer nos luttes pour être plus fort.e.s.

J’espère que l’année prochaine, pour cette même cérémonie qui se tiendra à Paris, il y aura plus de personnes trans et non blanches, dans les lauréats comme dans le jury.

Et nous, les activistes, à l’heure où l’état d’urgence est rentré dans le droit commun, combattons aussi les mouvements de récupération et de pinkwashing des entreprises et de l’état, qui se développent énormément depuis quelques années. Et comme l’a dit Angela Davis quand elle est venue à la Bourse de St Denis en 2015 (je la cite de mémoire) : Si nous libérons les femmes, noires, transgenres, en prison, alors nous libérons tout le monde.

Stéphane Corbin:

Bonsoir,

Nous sommes réunis aujourd’hui à Varsovie. C’est la première fois que je viens en Pologne. La Pologne, mes arrière-grands-parents maternels l’ont quittée pour venir vivre en France il y a longtemps. J’ai une émotion particulière à songer au fait qu’une partie de mes origines vient de ce pays où je reçois aujourd’hui cette récompense hautement symbolique.

Ce prix, je le reçois en mon nom avec honneur, mais il souligne avant tout le travail acharné des 400 bénévoles du collectif « Les Funambules », qui ont travaillé sur ce projet que j’ai lancé il y a 5 ans déjà. La France était en proie aux violences inouïes générées par l’ouverture du mariage aux homosexuel·le·s. Comme beaucoup j’ai été choqué, bouleversé même par ce retour en arrière : les propos, les violences physiques, la recrudescence de l’homophobie ordinaire décomplexée. Ce qui s’est passé en France n’est pas acceptable, mais n’est rien comparé à ce qui se passe dans tant de pays dans le monde. Mon ambition avec ce projet a été de répondre à la violence par la douceur, à l’agressivité par des chansons qui racontent ce que sont réellement les destins homosexuels. Avec l’idée que plus nos histoires seraient connues, moins elles feraient peur.

C’est ma conception du militantisme. Chacun peut faire un petit peu, à sa mesure, avec ses capacités. Chacun de nous est une petite pierre à l’édifice d’un monde un peu moins brutal. Et c’est en associant nos forces que nous sommes plus forts. Avec les Funambules, nous ne faisons certes que des chansons, et je suis très admiratif du travail des nombreuses associations qui œuvrent au quotidien dans la lutte contre l’homophobie. Mais les chansons ont cette vertu d’accompagner nos parcours, de nous apporter du réconfort, un sourire, ou la certitude que nous ne sommes pas seuls. Si les chansons ne changent pas le monde, elles peuvent mettre en lumière une émotion, un destin ou simplement nous aider à ne plus avoir honte, à ne plus nous cacher, à accepter ce que nous sommes avec fierté.

Parmi les nombreux témoignages d’affection et de soutien que nous avons reçus, je me souviens particulièrement de ce père de famille, trainé à l’un de nos concerts par un ami, qui est venu me voir à la fin du spectacle en me disant : « je ne savais rien de l’homosexualité, j’en avais des clichés assez sordides. Aujourd’hui, après avoir entendu vos chansons, si l’un de mes enfants m’apprend qu’il est homosexuel, je le prendrai simplement dans mes bras en lui disant que je l’aime. »

Je me souviens aussi de ce jeune chanteur qui ne souhaitait pas rendre publique son homosexualité et qui, au fil du temps décida pourtant de faire son coming out sur scène, en débutant son texte pas ces mots bouleversants « Maman, ce n’est plus la peine d’avoir peur pour moi, d’ailleurs moi-même je n’ai plus peur… ».

Je voudrais enfin rendre hommage à cette famille de cœur qu’est celle des Funambules. J’y ai construit des liens indéfectibles, vécu des émotions extraordinaires. J’ai ri, j’ai pleuré, j’ai été découragé bien des fois et trouvé des épaules solides sur lesquelles m’appuyer. J’ai été émerveillé, bouleversé par l’extraordinaire force et la générosité infinie qu’ont les humains quand ils s’unissent.

Je terminerai en remerciant bien sûr tout l’équipe du prix Tolerentia, l’association SOS Homophobie, dont les valeurs et les actions quotidiennes sont hélas encore tellement indispensables et avec laquelle nous allons continuer à avancer main dans la main ; et en vous exprimant ma joie et ma fierté de partager ce prix avec une artiste aussi libre, inventive et engagée qu’Océanerosemarie.

Merci beaucoup.